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Un après-midi à l’écurie...



- Art

- chevaux, randonnée, poésie, révélation

De Québec par un beau mois de juin
Depuis des jours que je ne dors plus
Ce pauvre cœur n’aspire plus à rien
Qu’une dernière chance de salut

Ce quotidien des plus moroses
Au bourdonnement des néons
Il me fallait faire quelque chose
Avant d’y laisser ma raison

Ce midi j’ai abandonné la ville
Et ses reliefs que je méprise
Pour le petit patelin de St-Basile
Sur un joli ranch nommé Dorelie’s

Traversant une allée bordée d’enclos
Je ne peux m’empêcher d’être nerveux
Mais je rends à chacun des chevaux
L’expression de ce grand regard curieux

Je me joins aux autres visiteurs
Nous sommes tous inexpérimentés
À part peut-être un old timer
Qui cherche à nous rassurer

Nous observons d’un air timide
Une jeune fille aux traits matures
Qui se présente comme notre guide
Puis nous mène à notre monture

Quelles créatures magnifiques
Qui nous attendent, bien dociles!
Et qui bien qu’éperdument stoïques
Nous en voient que plus fébriles

La vie prend une autre dimension
Une fois en selle, les rênes aux mains
Car si ma hauteur repousse l’horizon
C’est en moi que je vois le plus loin

Les pieds au dessus du sol sablonneux
Je suis plus que jamais près de la terre
Et ce qui était banal pour nos aïeux
Me semble aujourd’hui extraordinaire

Les premiers pas sont déstabilisants
Et d’aucuns ne masquent sa surprise
Mais déjà dans ce vallon verdoyant
Je ressens un agréable lâcher-prise

Dans la plaine aux vents fugaces
À cheval entre l’azur et le sol
Serais-je sur le grand Pégase
Que déjà j'aurais pris mon envol

Mon Dodge sait bien ce qu’il doit faire
Alors je lève la tête au ciel un instant
Et je contemple un urubu solitaire
Qui nous regarde passer, indifférent

Je me sens communier avec lui
Et célébrer notre liberté
D’apprécier la douceur de la vie
Et les splendeurs de l’été

Je baisse les yeux sur elle
Et son joli halfinger
Un blondin un peu rebelle
Du nom de Challenger

Nous nous échangeons un sourire
Elle m’apparaît belle comme le jour
Pour une fois oserais-je le dire?
Peut-être sur le chemin du retour…

Au son des sabots sur les planches du pont
S’ajoute la mélodie d’une rivière paisible
Sa musique apaise notre procession
Par ses clapotis tout juste audibles

Une voiture rouillée gît dans les ronces
Oubliée par le temps au milieu des bois
Devant nous la nature nous annonce:
« Sur l’homme je sais reprendre mes droits »

L’ombre soudaine des conifères
Jette sa froideur sur le cortège
Comme si de ces troncs millénaires
Émanait un curieux sortilège

C’est une forêt enchantée
Ici chaque arbre est en rang
Comme une vaillante armée
Qui protège les esprits errants

Mais vient l’annonce mystérieuse
De notre pure stupéfaction:
Des sous-bois percent de lumineuses
Et bien jolies constellations

D’aucun de mes rêves en éveil
N’ai-je vu autant de fleurs sauvages!
Pour moi cette prairie baignée de soleil
Restera le plus beau des paysages!

J’entends les goglus qui piaillent
Et les insectes par millions
Et les mulots qui se chamaillent
Au beau milieu des chardons

Une cabane étonnante croise notre chemin
Ambassade humaine délestée de l’hommerie
Peut-être qu’un jour, peut-être bien…
Pourrais-je y passer la nuit?

Les chevaux pressent le pas
Indiquant le retour à la maison
Ils semblent plus confiants que moi
Qui ai perdu tout orientation

Mais je reviendrai bien assez tôt
Et d’autres expériences m’attendront
Pourquoi pas traverser la rivière au trot
Au détour du sentier des ratons?

Une jeune femme aux cheveux noirs
Suspend le linge dans la cour
En vain je cherche à croiser le regard
De celle qui changera ma vie un jour

Circulant entre les box clos
Je suis ivres de révélations
Comme si soudain se levait le rideau
D’une pièce dont j’entamais la création

« Rien ne sera plus jamais pareil... »
Que je chuchote en larme à Kira
La tête enfouie près de l’oreille
De la pouliche d’à peine un mois

J’ai osé retirer pour un moment
Mon lourd manteau de noirceur
Et la vie s’est présenté simplement
Avec bienveillance et chaleur

Entre mes regrets du passé
Et mes angoisses de l’avenir
L’instant présent est un négligé
Qu’il me faut cesser de fuir

Belle, grande et simple leçon
Que les chevaux murmurent aujourd’hui
Alors que je sens naître une passion
Par un après-midi à l’écurie

Au camp de bûcheron, St-Basile
23 février 2020

forêt conifères

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