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- crécelle, musique, son, maladie, guerre, arme
La crécelle est un petit instrument généralement en bois qui produit, en faisant tourner une languette autour d'un axe, un fort et rapide crépitement.
Ce qui est intéressant avec la crécelle, c'est qu'un instrument, qui n'est guère plus visible que dans les célébrations ou pour amuser les enfants, ait connu historiquement des usages plus funestes.
Car dès son invention au moyen âge, elle servait à avertir les gens de l'arrivée d'un lépreux ou d'un pestiféré, deux maladies qui ravageaient les populations d'Europe à cette époque. Ainsi dès qu'un villageois (ou que le malade lui-même) faisait entendre le sinistre cliquetis de la crécelle, tout le monde fuyait de panique.
Bien plus tard, durant la Première Guerre mondiale, la crécelle était utilisée pour alerter les troupes de la présence de gaz toxiques lancés par l'ennemie, armes d'autant plus terrifiantes qu'elles étaient soumises au hasard des vents.
Ainsi, bien avant d'être utilisé pour se manifester dans une foule enjouée, le son de la crécelle accompagnait la calamité et précédait la désolation.
Balayez la poussière de la tristesse de l'avenir. La tristesse du moment présent vous suffit. La peine ne doit vivre qu'après être vraiment née et pas avant.
Omar Khayyam
- Assied-toi Malone. Aujourd’hui je vais te montrer quelque chose d’important.
À l’époque, Léo était rarement aussi solennel quand il m’enseignait des trucs, et encore moins lors des cours de musique. Il se tenait debout au milieu de l'atelier, avec à la main une feuille qu’il maniait avec mille précautions. Intrigué, je pris place et attendit la suite. Il déposa la feuille devant moi et me laissa la scruter quelques instants. Il s’agissait d’une grande page usée avec au centre un tableau où se croisaient des notes, des portions de portées, et des accords, avec tout autour des notes manuscrites, des indications et des flèches. Le tout semblait concis, mais quelque peu difficile à déchiffrer pour moi. Je levai vers lui des yeux interrogateurs, auxquels il répondit sur le ton de la confidence:
- Malone, tu as devant toi le dictionnaire de la musique occidentale. Tu as sur cette simple feuille le fondement des formules musicales. Pour l’oreille humaine, tout ce que l'on composera sur la base de ces formules sonnera juste. Mais si l'on en déroge, il y a un grand risque que les compositions sonnent faux.
Je repérai alors sur la feuille quelques associations d’accords que j'avais souvent rencontrées. D’autres semblaient plus rares, mais tout semblait baigner dans une certaine logique. Je demandai à Léo dans quel grenier obscur, dans quelle bibliothèque lointaine avait-il pu trouver un tel parchemin. Il eut alors le sourire espiègle de celui qui attendait la question.
- Il s’agit d’un simple tableau de combinaison de notes, de gammes et d’accords que l’on peut trouver dans n’importe quel bon ouvrage sur la musique. Je l’ai annoté au fur et à mesure de mes expériences personnelles et de mes rencontres avec des musiciens.
- Alors, dis-je, il suffit à n’importe qui de se référer à ce simple tableau pour parvenir à produire des pièces acceptables pour l’oreille humaine?
Il acquiesça. C’est précisément à ce moment que le robot ménager fabriqué par Léo entra dans la pièce pour la dépoussiérer. Devant les mouvements de l’automate, j’eus soudain une pensée troublante:
- Mais alors Léo, si la musique ne s’appuie que sur un lot de règles logiques qui peuvent tenir sur une simple feuille, une poignée de robots bien programmés seraient capables de produire à eux seuls toutes les compositions possibles !?
Léo s’amusa à ouvrir le bac à poussière du robot ménager, et l’observa tourner en rond pour aspirer perpétuellement la poussière qu’il perdait à mesure.
- C’est peut-être vrai, Malone, mais nous ne pourrions pas parler d’art, et encore moins d’ingéniosité artistique. Car vois-tu, même s’il est vrai que lorsqu'on s’écarte des balises fixées par ce tableau, la musique agresse l’oreille, il arrive parfois que de grands musiciens, pour une raison qui nous dépasse, réussissent à transgresser les règles sans heurt. Par instinct, ou à force de travail, ils parviennent à insérer dans leurs compositions des passages hors-normes, tout en gardant une sonorité juste dans leur musique. Cette musique est d’ailleurs bien souvent transformée en quelque chose de plus profond, de plus émouvant, quelque chose à laquelle l’oreille répond encore plus favorablement. Et, puisque ces écarts ne s’appuient sur aucune logique, elles seraient considérées par nos automates comme des erreurs, des compositions non recevables.
Il cita quelques-uns de ces grands musiciens, dont j’ai oublié les noms, sauf peut-être un certain McCartney, du XXième siècle). Je pris de longues secondes pour assimiler ce que je venais d’entendre, et je compris enfin où Léo voulait en venir. Comme d’habitude, il m’amenait à pousser mes réflexions au-delà de son simple enseignement.
Car j’ai dès lors commencé à percevoir autrement la musique et l’art en général. J’ai réalisé pourquoi nous trouvions souvent le génie hors des sentiers battus.
Ainsi pouvons-nous trouver la beauté artistique dans l’erreur et dans le déni des règles et des cadres. Jamais les automates ne dérogeront aux normes aussi bien que l’humain, car cette perception décalée, notre sens du beau, ne s’appuie sur aucune logique ni aucun raisonnement. Elle est propre à l’humain, à la fois universellement, culturellement, et individuellement.
J'ai besoin de toi comme d'une infirmière
Quand je me demande ce que je fou ici
Et que je colle ma tête pendant
Des heures sur l'oreiller
Tétanisé, assommé, incapable de rien
J'en ai marre de faire semblant
J'en ai marre de faire comme si
tout me glissait dessus
J'ai besoin de toi comme d'une cigarette ou d'un verre
A chaque fois que je dois sortir dans la foule
Je me dis que ça peut pas être comme ça
Qu'il doit y avoir autre chose.
Jusqu'ici j'ai pas trouvé des tas de raisons d'exister
Mais j'ai besoin de croire en quelque chose de profond, de solide
J'ai besoin d'être porté par un espoir
Je voudrais faire l'effort permanent et sublime
Je voudrais être à tes côtés, simplement
Pour que la vie ne puisse jamais nous mettre à genoux
Il existe, dans les montagnes d’Afriques du Sud, une plante buissonnante particulièrement capricieuse qui ne pousse dans aucun autre sol ni sous aucun autre ciel que celui de ce pays chaud et ensoleillé, tout au sud du continent.
Cette plante se nomme Rooibos (prononcé Ro-I-Boss). Consommée à l’état sauvage en infusion depuis longtemps par les autochtones, elle fut exploitée pour la première fois dans les années 1930 par un botaniste de la région. Les feuilles, une fois séchées, fermentées et broyées, donnent une poudre grossière d’un rouge caractéristique.
Ce ne sont pas ses vertus qui rendent le rooibos si intéressant, car on ne lui en reconnait pas vraiment. Du moins jusqu'à présent rien ne permet d’affirmer qu'il y ait un quelconque bénéfice santé à sa consommation.
En réalité ce qui fait le charme de cette boisson, c’est quelle est une expérience sensorielle plutôt riche. Une fois infusée, elle prend une couleur rouge particulière, profonde et chaleureuse. L’odeur qui s’en dégage est boisée et son goût me donne l’impression d’être à la fois fruité et floral. Je n’ai rien d’un expert en thé, mais je sais que cette saveur est unique.
Mais ce qu’il y a de plus étonnant encore, et ce qui me pousse à consigner cette boisson ici, c’est qu’elle a sur moi un effet surprenant: elle me fait rêver. Lorsque je passe quelques nuits sans faire de rêve (ou sans aucun souvenir de ces rêves), je prends une tasse de Roobios avant d’aller dormir et immanquablement je vais me remettre à rêver.
Je n’ai jamais lu d’autre témoignage de la sorte, peut-être est-ce un effet qui ne concerne que moi. Peut-être cette saveur stimule mon inconscient ou me remémore des souvenirs qui se manifestent en rêve, bref...
Ce que je pense Ce que je veux dire Ce que je crois dire Ce que je dis Ce que vous avez envie d'entendre Ce que vous croyez entendre Ce que vous entendez Ce que vous avez envie de comprendre Ce que vous croyez comprendre Ce que vous comprenez... Il y a au moins dix possibilités qu'on ait des difficultés à communiquer. Mais essayons quand même...
ESRA, B. Werber