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- cerveau, exposition, anatomie, corps humain,
Je m'étais rendu à une exposition des plus particulières. J’ai passé des heures au travers de corps humains écorchés, ouverts ou en partie dépecés, préservés de la putréfaction par un procédé mis au point par un anatomiste allemand.
Certaines “pièces” étaient exposées dans un but pédagogique, d’autres dans un but plus artistique, célébrant la beauté du corps humain, sa complexité et ses formes.
J’ai ainsi vu de mes yeux un joueur de soccer sans peau figé en plein élan, une ballerine également sans peau, tendue en position d’arabesque. J’ai vu une femme enceinte de 8 mois, le ventre ouvert dévoilant son bébé. J’ai vu un foie abîmé par l’alcool versus un foie sain, des poumons noircis par la cigarette versus des poumons sains. J’ai vu un homme souffrant d’obésité morbide tranché en deux sur la hauteur, dévoilant une chair blanche de tissus adipeux, avec au centre un petit espace rouge comprimé où battait autrefois un coeur. J’ai contemplé de l’intérieur l’extraordinaire mécanique de la main. J’ai admiré la belle arborescence du nerf sciatique, etc etc…
Et pourtant, dans ce dédale surréaliste provocant un composé bizarre d'horreur et de fascination, la chose qui m’a le plus intrigué et qui m’a davantage poussé à la réflexion, c’est cette toute petite planche, accrochée au mur, et que tous semblaient ignorer.
Sur cette planche était disposé un cerveau, divisé en une dizaine de tranches. Je suis resté de longues minutes à l’observer. Je ne pouvais m’empêcher de penser que, considérant que toutes personnes ayant fait don de son corps pour l’exposition avaient signé une autorisation (j'apprendrai plus tard que la réalité est plus obscure), le cerveau devant moi était lui-même à l’origine de sa présence sur cette planche. Quelque part dans les replis de ces tranches de chou-fleur grisâtres avait circulé l’idée de s’exposer ainsi.
Depuis, chaque fois que je repense à cette exposition, c’est la première réflexion qui me revient en tête…
EST-CE QU'ON VOUS MANIPULE?
Notre cerveau a tendance à transformer les questions simples en affirmations. Ainsi, si les gros titres affichent "Le maire est-il corrompu?" ou "L'ail guérit-il le cancer?", nous auront une tendance naturelle à transformer ces questions en faits, sans même y penser. C'est ce qui s'appelle un biais d'affirmation. D'où vient ce phénomène? Selon les psychologues, c'est une question de représentation mentale.
Quand on lit LE MAIRE EST-IL CORROMPU?, on commence par se représenter mentalement l'image du maire qui, par exemple, touche un pot-de-vin ou sert la main d'un mafieux. C'est seulement après que le cerveau cherche des indices confirmant ou infirmant la corruption du maire. Comme il n'y a aucun indice d'innocence dans notre représentation mentale, il ne nous reste en mémoire que l'image d'un maire corrompu.
Le biais d'affirmation a des conséquences profondes sur notre vision de la politique et de la science. Heureusement, le simple fait de connaître le phénomène peut nous aider à nous en prémunir. Dès qu'un titre est présenté sous forme de question, d'abord se demander: est-ce qu'on essaye de me manipuler?
JK Huysmans, Paris 1884 - À lire pour mieux se conforter dans notre époque.
Jean Esseintes fut pris, au milieu d’une nuit, d’une abominable rage de dents. Il se tamponnait la joue, butait contre les meubles, arpentait, semblable à un fou, sa chambre.
C’était une molaire déjà plombée ; aucune guérison n’était possible ; la clef seule des dentistes pouvait remédier au mal. Il attendait, tout enfiévré, le jour, résolu à supporter les plus atroces des opérations, pourvu qu’elles missent fin à ses souffrances.
Tout en se tenant la mâchoire, il se demandait comment faire. Les dentistes qui le soignaient étaient de riches négociants qu’on ne voyait point à sa guise ; il fallait convenir avec eux de visites, d’heures de rendez-vous. C’est inacceptable, je ne puis différer plus longtemps, disait-il ; il se décida à aller chez le premier venu, à courir chez un quenottier du peuple, un de ces gens à poigne de fer qui, s’ils ignorent l’art bien inutile d’ailleurs de panser les caries et d’obturer les trous, savent extirper, avec une rapidité sans pareille, les chicots les plus tenaces ; chez ceux-là, c’est ouvert au petit jour et l’on n’attend pas. Sept heures sonnèrent enfin. Il se précipita hors de chez lui, et se rappelant le nom connu d’un mécanicien qui s’intitulait dentiste populaire et logeait au coin d’un quai, il s’élança dans les rues en mordant son mouchoir, en renfonçant ses larmes.
Arrivé devant la maison, reconnaissable à un immense écriteau de bois noir où le nom de « Gatonax » s’étalait en d’énormes lettres couleur de potiron, et en deux petites armoires vitrées où des dents de pâte étaient soigneusement alignées dans des gencives de cire rose, reliées entre elles par des ressorts mécaniques de laiton, il haleta, la sueur aux tempes ; une transe horrible lui vint, un frisson lui glissa sur la peau, un apaisement eut lieu, la souffrance s’arrêta, la dent se tut.
Il restait, stupide, sur le trottoir ; il s’était enfin roidi contre l’angoisse, avait escaladé un escalier obscur, grimpé quatre à quatre jusqu’au troisième étage. Là, il s’était trouvé devant une porte où une plaque d’émail répétait, inscrit avec des lettres d’un bleu céleste, le nom de l’enseigne. Il avait tiré la sonnette, puis, épouvanté par les larges crachats rouges qu’il apercevait collés sur les marches, il fit volte-face, résolu à souffrir des dents, toute sa vie, quand un cri déchirant perça les cloisons, emplit la cage de l’escalier, le cloua d’horreur, sur place, en même temps qu’une porte s’ouvrit et qu’une vieille femme le pria d’entrer.
La honte l’avait emporté sur la peur ; il avait été introduit dans une salle à manger ; une autre porte avait claqué, donnant passage à un terrible grenadier, vêtu d’une redingote et d’un pantalon noirs, Jean Esseintes le suivit dans une autre pièce.
Ses sensations devenaient, dès ce moment, confuses. Vaguement il se souvenait de s’être affaissé, en face d’une fenêtre, dans un fauteuil, d’avoir balbutié, en mettant un doigt sur sa dent : « elle a déjà été plombée ; j’ai peur qu’il n’y ait rien à faire. »
L’homme avait immédiatement supprimé ces explications, en lui enfonçant un index énorme dans la bouche ; puis, tout en grommelant sous ses moustaches vernies, en crocs, il avait pris un instrument sur une table.
Alors la grande scène avait commencé. Cramponné aux bras du fauteuil, Jean Esseintes avait senti, dans la joue, du froid, puis ses yeux avaient vu trente-six chandelles et il s’était mis, souffrant des douleurs inouïes, à battre des pieds et à bêler ainsi qu’une bête qu’on assassine.
Un craquement s’était fait entendre, la molaire se cassait, en venant ; il lui avait alors semblé qu’on lui arrachait la tête, qu’on lui fracassait le crâne ; il avait perdu la raison, avait hurlé de toutes ses forces, s’était furieusement défendu contre l’homme qui se ruait de nouveau sur lui comme s’il voulait lui entrer son bras jusqu’au fond du ventre, s’était brusquement reculé d’un pas, et levant le corps attaché à la mâchoire, l’avait laissé brutalement retomber, sur le derrière, dans le fauteuil, tandis que, debout, emplissant la fenêtre, il soufflait, brandissant au bout de son davier, une dent bleue où pendait du rouge !
Anéanti, Jean Esseintes avait dégobillé du sang plein une cuvette, refusé, d’un geste, à la vieille femme qui rentrait, l’offrande de son chicot qu’elle s’apprêtait à envelopper dans un journal et il avait fui, payant deux francs, lançant, à son tour, des crachats sanglants sur les marches, et il s’était retrouvé, dans la rue, joyeux, rajeuni de dix ans, s’intéressant aux moindres choses.
Avoir une expérience mystique signifie que l'on ressent une unité avec Dieu, ou l'âme du monde. Certaines religions insistent sur le fossé qui existe entre Dieu et la création, mais la mystique fait justement l'expérience qu'un tel fossé n'existe pas. La personne "fait corps" avec Dieu, "s'est fondue" en lui.
(omnihilus, vieil ESRA disparu)
Mes premiers voyages dans le temps furent marqués non pas par l’émotion des grands événements historiques auxquels que je souhaitais assister, mais plutôt par la fascination des petits détails.
Débarqué loin de mon objectif, en pleine campagne vers les 1530, à la fin d’une belle journée du mois d’aout, je rencontrai une famille de paysan qui accepta de m’héberger pour quelques écus, et j’eus ainsi l’occasion d’une petite étude sur le terrain.
Le souper fût composé de légumes bouillis, d’un genre de pain sec noir et d’une pâte malodorante que je n’ai jamais réussi à identifier, un sous-produit laitier peut-être. (Tout voyageur spatiotemporel vous donnera comme premier conseil de bien veiller à prendre les anticorps nécessaires... Il n’est rien de plus souffrant et humiliant que d’être dans un autre espace-temps affligé d’une fulminante chronotourista).
Toutefois avant de commencer à manger, je me suis rendu compte que j’avais commis une bêtise: j’avais dans la bouche un chewing-gum que je mâchais depuis mon arrivée (les gommes ne seront inventées que 400 ans plus tard). Je me mis alors à chercher précipitamment la poubelle pour y jeter ma chique… deuxième bêtise. Les poubelles ne seront inventées qu’en 1884. Finalement je décidai d’avaler ma gomme tout simplement, plutôt honteux de mes erreurs de chrononaute débutant. Elles m’ont toutefois poussé à ces réflexions.
Nos ancêtres paysans, sans le savoir, étaient de grands écologistes. Pour eux, rien ne se perdait et tout se transformait. Ils ne jetaient rien. Le moindre bout de métal trouvait un emploi astucieux, et les matières organiques allaient sur le tas de fumier. Les objets, même hors d’usage, étaient stockés et transmis de génération en génération. C’est dans les villes qu’apparaîtront les premières poubelles, car l’accumulation anarchique des déchets y rendait la vie immonde et malsaine.
Devant la simplicité et la candeur de mes hôtes, qui se montraient par leur mode de vie, naturellement proches de la terre, je ne pouvais m’empêcher de penser à ce qui suivra à l’arrivé de la poubelle. Tout juste trois siècles après sa création, l’humain colonisera un nouveau continent artificiel, une île flottante gigantesque au milieu de l’océan et exclusivement composé de déchets provenant de partout au monde, condensés au fil du temps par les courants marins...
Oh the sky overhead, it's like - a canvas of grey. I don't know how much time I'll be given to stay. From the first spring of light, 'til the end of the day I'm just livin' my life, 'til they come carry me away!
Cypress Hill